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notion incapacite juridique

Mobilité et majeurs vulnérables

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L'incapacité juridique est la situation dans laquelle une personne se trouve privée – par la loi ou par décision de justice – de l'exercice de certains droits, en raison de son âge (mineurs) ou de l'altération de ses facultés physiques ou mentales (majeurs protégés). Les personnes en incapacité juridique sont alors qualifiées d’«
incapables
».
Dans des études récentes, l’OCDE et l’OMS ont mis en avant que l’allongement de l’espérance de vie, et la perte d’autonomie quasi-systématique passée un certain âge, laissent présager une hausse significative de cette problématique juridique à l’avenir.
Dans de nombreux pays, la sanction à un acte passé par un incapable est la nullité [1] de l’acte. C’est pourquoi cette thématique est un sujet majeur de sécurisation des opérations patrimoniales.
A défaut d’être capables juridiquement, les personnes qui voudraient vendre un immeuble, contracter un emprunt, donner un bien, gérer un portefeuille de valeurs mobilières, ou encore simplement agir sur leurs comptes bancaires, ne seraient plus autorisées à le faire. Les personnes physiques doivent ainsi bien prendre conscience des conséquences d’une incapacité, y compris dans l’hypothèse de personnes mariées sous un régime communautaire.
Nous nous limiterons ci-après à évoquer le cas d’une personne adulte vulnérable, incapable juridiquement.
Alors que les effets patrimoniaux du décès sont souvent anticipés, les conséquences d’une incapacité restent souvent ignorées ou sous-estimées. Or, une incapacité non anticipée peut engendrer des situations de blocage dans l’administration et la disposition des actifs. Pour être résolues, ces situations nécessitent de passer devant une institution judiciaire, dont les décisions peuvent être incertaines, longues à venir et parfois contraires à ce qu’aurait été la volonté de la personne désormais incapable.
Ainsi, les personnes ont tout intérêt à s’assurer que leur volonté sera respectée en cas d’incapacité future tant concernant l’administration de leur patrimoine que de leur personne. Les difficultés patrimoniales engendrées par une incapacité se trouvent nettement accrues dans un contexte international, dans lequel il convient de s’interroger sur l’impact des lois étrangères mais aussi sur la recevabilité à l’étranger de certaines mesures juridiques.

1. Loi applicable à l’incapacité : principes

Dans une situation internationale, il convient de déterminer dans un premier temps la loi applicable à la protection du majeur.
Si les pays de droit latin prévoient que c’est la loi nationale de la personne qui régit sa capacité [2], à l’inverse, en droit anglo-saxon, le common law [3], c’est la loi du « domicile » de la personne qui régira les questions relatives à la capacité.
Une Convention internationale [4] vise le sujet de l’incapacité des majeurs. Elle permet :
  • l’harmonisation des règles de conflit et de compétence des Etats signataires en prévoyant que le juge saisi applique sa loi et non plus une loi étrangère;
  • la facilitation de la reconnaissance et de l’exécution des mesures de protection internationale;
  • l’instauration du mandat d’inaptitude, à portée universelle : les mesures prises par un Etat contractant sont reconnues de plein droit dans les autres Etats contractants.
Malheureusement, la Convention souffre d’une portée limitée par le faible nombre d’Etats contractants, et davantage encore d’Etats dans lesquels elle est entrée en vigueur [5], mais aussi de l’absence de publicité du mandat d’inaptitude. C’est pourquoi en pratique les règles de droit international privé de droit commun de chaque Etat continuent la plupart du temps à s’appliquer à l’heure actuelle.

2. Mise en place d’un mandat

Le mandat d’inaptitude, prévu par la Convention de la Haye, peut être mis en place dans les pays où il est entré en vigueur.
L’adulte (mandant) pleinement capable peut alors anticiper son incapacité future en octroyant des « pouvoirs de représentation », à périmètre variable, à un ou plusieurs mandataires. Ce mandat est régi par la loi de l’Etat de la résidence habituelle du mandant au moment de sa conclusion, sauf option :
  • pour la loi de sa nationalité, ou ;
  • la loi de l’Etat d’une précédente résidence habituelle, ou ;
  • encore la loi de l’Etat dans lequel sont situés les biens, pour ce qui concerne ces biens.
Il se confond dans certains droits avec des dispositions internes propres, et peut donc exister dans ces pays signataires sous des appellations différentes.
Dans les pays non signataires de la Convention de la Haye en question, il convient d’identifier l’existence d’un outil similaire et la loi qui lui serait applicable.
De nombreux pays prévoient dans leur législation interne un mandat permettant l’anticipation d’une incapacité. C’est notamment le cas de la Belgique (mandat extra-judiciaire), l’Espagne, les Etats-Unis (springing power of attorney), la France (mandat de protection future) et de la Suisse (mandat d’inaptitude en Suisse).
A l’inverse, certaines juridictions n’offrent à ce jour pas cette possibilité : c’est notamment le cas de Luxembourg.

3. Une solution efficace : quelle mise en œuvre à l’étranger ?

En cas de mobilité projetée ou situation internationale déjà existante, il convient de s’interroger sur la circulation à l’international de ces solutions qui visent à anticiper l’incapacité d’un adulte majeur qui deviendrait vulnérable, en raison :
  • de l’absence fréquente de registre des dispositions prises en la matière. Par exemple en France, s’agissant du mandat de protection future, une disposition législative prévoyant la mise en place d’un registre spécial existe bel et bien [6], mais le décret d’application tarde à paraître … A l’inverse, le Québec a instauré un tel dispositif, ce qui a contribué à l’explosion du nombre de mandats [7];
  • de l’absence de conditions de forme de certaines solutions, notamment le mandat d’inaptitude ;
  • de différences pouvant exister entre ces dernières.
Ainsi, il peut parfois être compliqué de faire reconnaître ou exécuter un tel outil, y compris dans des juridictions voisines, notamment avec un pays tiers à la Convention de la Haye ou encore lorsque le mandat octroie aux mandataires des pouvoirs exorbitants aux yeux du droit du pays où il doit être exécuté [8].
Ainsi, le Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg a rendu exécutoire pour la première fois un mandat de protection future français le 6 juin 2018. Cet outil étant inexistant en droit interne luxembourgeois et le Luxembourg n’ayant pas ratifié la Convention de La Haye, il a été indispensable aux requérants (mandataires) de saisir les juridictions pour voir reconnaitre et déclarer exécutoire le mandat à Luxembourg, non sans une certaine opposition.

4. La nécessaire cohérence et coordination des solutions juridiques

Devant l’incertitude de la portabilité de ces solutions dans un contexte international, il faut envisager des solutions alternatives ou cumulatives.
L’usage d’une société patrimoniale, dont la gouvernance en cas d’incapacité d’un associé-dirigeant aura été prévue conventionnellement en amont, est une piste de réflexion pertinente. Il faut encore veiller à prévoir la représentation du majeur incapable dans les décisions d’assemblée générale, via mandat, et ce à un moment où l’associé est encore capable.
En choisissant en amont les outils juridiques adaptés et en instaurant une cohérence des lois applicables à ces derniers, il est tout à fait envisageable d’organiser l’administration du patrimoine international d’un majeur incapable.
A l’aune de ces problématiques complexes, il apparaît indispensable de faire appel à des spécialistes internationaux pour avoir une approche globale et transfrontalière. Nos experts en Estate Planning sont là pour vous aider.
1 Relative, sauf exception
2 ex. article 3, alinéa 3 du Code civil français ou encore article 34 du Code de Droit International Privé belge
3 ex. article 3083 du Code civil du Québec
4 Convention internationale de La Haye n°35 du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes
5 Allemagne, Autriche, Chypre, Estonie, Finlande, France, Lettonie, Monaco, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni (Ecosse), Suisse
6 article 477-1 du Code civil français – Loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement
7 Plus d’un million de mandats enregistrés à Québec pour une population de 8,5 millions d’habitants
8 article 15, alinéa 3 de la Convention et ordre public international
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