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Covid-19 : quelles implications pour les marchés financiers ?

Jérôme van der Bruggen - Chief Investment Officer
De plus en plus de voix s’élevaient ces dernières années pour que, face à l’incapacité de nos économies à recouvrer leurs taux de croissance pré-crise financière de 2008, la relance fiscale vienne compléter la relance monétaire. Mais, jusqu’il y a peu, les plans fiscaux d’ampleur tardaient à prendre forme. La crise sanitaire change les choses ! L’impact économique des mesures de confinement décrétées suite à la crise sanitaire est sans précédent et, afin de limiter les dommages, banques centrales et gouvernements agissent aujourd’hui de concert à travers un assortiment de mesures de soutien inédites. Cette politique économique impacte les marchés financiers. Voici les cinq conséquences pour notre gestion.

1. Prudence sur les bourses

Le choc boursier du premier trimestre 2020 reflète l’incertitude des investisseurs quant à l'ampleur du recul des bénéfices des entreprises. Celui-ci résulte de l’impact économique de la distanciation sociale. Le cycle de révision à la baisse des prévisions bénéficiaires [1], s’il est déjà bien entamé, n’est selon nous pas encore arrivé à son terme. Cela nous incite à la prudence. Fin février, nous réduisions le poids des actions dans les portefeuilles et l’amenions sous le poids neutre [2]. Nous conservons ce positionnement.

2. Préférence pour les valeurs américaines

L’intervention des banques centrales et la relance budgétaire ont tant bien que mal maintenu les agents économiques à flot pendant le confinement. Aujourd’hui, l’activité reprend peu à peu, à mesure que sont relâchées les dispositions prudentielles prises au cœur de la crise. Les taux d’intérêt sont restés à des niveaux extrêmement bas. Cela a deux conséquences. D’abord, le corollaire de taux d’intérêt bas est une prime de risque élevée et qui devrait selon nous compenser l’investisseur pour la volatilité d’un investissement en bourse. Les actions restent par conséquent la pierre angulaire des portefeuilles.
Ensuite, les taux bas favorisent la performance en bourse des entreprises « prévisibles ». Lorsqu’on n’est sûr de rien, les entreprises sur lesquelles « on peut compter » valent de plus en plus cher. Ainsi, les entreprises qui permettent la digitalisation de nos économies et qui continuent à faire croître leur chiffre d’affaires quelle que soit la situation, connaissent une progression de leur cours de bourses. Ce type d’entreprises est plus présent aux Etats-Unis qu’en Europe comme en témoigne la composition sectorielle des indices boursiers américains : le secteur de la technologie de l’information y est représenté pour plus de 20 % et le secteur des télécommunications pour 10 %. Cela nous amène à préférer les valeurs américaines aux valeurs européennes pour l’instant.
prime de risque dans les 12 prochains mois
Sur le graphe ci-dessus, la prime de risque est calculée en déduisant le rendement des obligations à 10 ans « sans risque » [3] du rendement bénéficiaire [4] prévu dans les douze prochains mois.

3. Opportunisme sur le marché du crédit aux entreprises de qualité

Le choc sur les marchés financiers a fait grimper les spreads [5] d’obligations d’entreprises. Les investisseurs craignent un assèchement de la liquidité et la détérioration de la solvabilité. Toutefois, les banques centrales et les gouvernements ont pris des mesures inédites : possibilité offerte aux banques de refinancer leurs prêts aux entreprises auprès de la Banque centrale à des conditions très favorables ; assouplissement réglementaire ; rachat d’obligations d’entreprises sur le marché secondaire. Selon nous, il s'agit de mesures cohérentes capables de prévenir les problèmes de liquidités et de maintenir la solvabilité des entreprises de qualité même si plusieurs abaissements de notes devraient surgir dans les secteurs les plus affectés par la crise sanitaire. Nous continuons donc d’investir dans les obligations d’entreprises de qualité (dites « Investment grade ») devenues plus attrayantes pour les investisseurs à la recherche d’un surplus de rendement.

4. Prise de profits sur le dollar

Des forces contradictoires ont tiraillé le cours du dollar au premier semestre. D'une part, la baisse des taux d’intérêt aux États-Unis a fait disparaitre le différentiel de rendement positif dont il bénéficiait par rapport aux autres devises. D’autre part, le choc sur les marchés financiers a engendré une demande de dollars colossale, émanant tant des investisseurs (qui considèrent la devise américaine comme une valeur refuge) que des entreprises et des établissements financiers (qui veulent disposer d’un maximum de liquidités en période d’incertitude). La hausse du dollar a été endiguée par la Fed lorsqu’elle a ouvert des lignes de crédit en dollar à des conditions très favorables auprès des principales banques centrales du monde afin d’éviter une pénurie de billets verts dans le système financier. Nous en avons profité pour prendre quelques profits. À long terme, beaucoup d’éléments fondamentaux restent négatifs pour le dollar : sa surévaluation par rapport à la parité de pouvoir d'achat, la hausse du déficit budgétaire américain, le déficit de la balance commerciale. Cela étant dit, nous en conservons une petite position dans les portefeuilles diversifiés pour son statut de valeur refuge en période de grande turbulence.

L’impact économique des mesures de confinement décrétées suite à la crise sanitaire est sans précédent.

5. Maintien de l’or

Le cours de l’or a, lui aussi, connu de fortes fluctuations au premier semestre. En mars, il a baissé et est passé sous la barre des 1.500 dollars l’once pour remonter ensuite. Plusieurs facteurs expliquent cette volatilité. D’abord, lors de chocs des marchés financiers, il arrive que certains investisseurs doivent vendre leurs positions en or afin de faire face à des besoins de liquidités. D’autre part, l'or étant un instrument de placement qui ne génère pas de revenus, l'évolution de son cours est en grande partie déterminée par le coût d'opportunité de sa détention (le revenu auquel un investisseur doit renoncer lorsqu’il détient de l'or). Ce coût d’opportunité peut être assimilé au taux d’intérêt réel, c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal moins l’inflation (attendue). Ce coût d'opportunité a brièvement grimpé à l’occasion des turbulences liées à la crise sanitaire : l’inflation attendue par le marché, que l’on peut mesurer en observant le taux d’inflation implicite des obligations liées à l’inflation [6], a chuté faisant grimper temporairement les taux d’intérêt réels. Les banques centrales sont ensuite intervenues et l’or s’est stabilisé. Nous maintenons nos positions en or. Indépendamment des perturbations temporaires que connaît le fonctionnement normal des marchés, nous pensons que les taux d’intérêt resteront bas pendant longtemps. Le coût d'opportunité pour investir dans l'or devrait donc rester faible. L’or offre un autre avantage : celui de permettre aux portefeuilles de rester diversifiés.
[1] Les prévisions bénéficiaires sont le résultat d’une compilation des estimations des bénéfices attendus par l’ensemble des analystes financiers de la place.
[2] Ce document fait régulièrement allusion aux pondérations cibles d’un portefeuille équilibré Medium. Le poids neutre est le poids stratégique ou encore le poids de référence d’un tel portefeuille.
[3] Une obligations « sans risque » est une obligation émise par une autorité de référence, ici le Trésor américain ou l’État allemand.
[4] Le rendement bénéficiaire d’une entreprise cotée – ou « earnings yield » - est calculé en divisant son bénéfice net par action par son cours de bourse.
[5] Le « spread » est la prime de rendement offerte par des obligations considérées « à risque » par rapport aux obligations « sans risque » émises par des autorités de référence (voir note de bas de page 3). On parle par exemple du « spread » offert par des obligations émises par des entreprises ou du « spread » des obligations des pays périphériques de la zone euro ou des pays émergents.
[6] Le taux d’inflation implicite (ou taux « break-even ») est le taux qui réalise l’équilibre entre le rendement offert par les obligations classiques et celui offert par les obligations liées à l’inflation. On parle aussi de taux d’inflation « attendue par le marché ».
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