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Coronavirus : les États-Unis s’organisent… enfin !

Coronavirus : les États-Unis s’organisent… enfin !

Hans Bevers - Chief Economist
Les Etats-Unis sont devenus l’épicentre de la crise sanitaire. Fin mars, le nombre total de cas de Covid-19 y dépassait celui de l’Italie et de la Chine. Malgré les propos prémonitoires de Bill Gates – qui dès 2015 avait déclaré que, selon lui, le plus grand risque pour l’humanité n’était pas une guerre mais une pandémie, et qui avait proposé une plateforme pour y faire face – le pays n’était pas prêt pour endiguer rapidement ce développement exponentiel du nombre de malades. A l’opposé de certains pays asiatiques qui n’en sont pas à leur première épidémie de coronavirus, les Etats-Unis n’ont pas connu de grande maladie depuis longtemps.
Mais il y a des signes que les Etats-Unis sont en train de corriger le tir ! D’après ce même Bill Gates, qui s’exprimait sur CNN jeudi 26 mars, les Etats-Unis n’auront pas d’autre choix que de confiner – « lock-down » – plus rigoureusement l’ensemble du pays, comme l’ont fait l’Europe et… la Chine. De ses propres mots : « the whole country has to be in this together ! ». A sa manière, l’Amérique adopte la feuille de route suivie par les autorités chinoises dans la gestion de la crise sanitaire et apporte elle-aussi une réponse politique sans précédent. Selon cette feuille de route, les organismes de santé publique, les gouvernements et les banques centrales travaillent de concert dans leur réponse à la crise, afin de minimiser l’impact de la pandémie sur l’économie : (1) lock-down ; (2) apport de liquidités et (3) Etat-providence.

« Lock-down » tardif mais « lock-down » quand même

La réponse initiale des Etats-Unis fut, début février, d’interdire l’entrée sur son territoire les voyageurs ayant séjourné les deux semaines précédentes en Chine. Cette réaction avait indigné les autorités chinoises. Cependant, durant les semaines qui suivirent, le pays fut lent à adopter les mesures de confinement. En Nouvelle-Orléans, le carnaval du mardi Gras du 25 février fut maintenu alors que le nombre de cas de Covid-19 augmentait de manière alarmante aux Etats-Unis. Cet évènement serait la cause principale de l’augmentation importante des cas d’infection dans l’Etat de Louisiane que nous observons aujourd’hui.

Le 16 mars, l’administration Trump émettait des directives en matière de distanciation sociale dans l’espoir de freiner la propagation du virus. La première recommandation demande aux Américains d’éviter des rassemblements de plus de 10 personnes. La seconde conseille aux personnes âgées de rester chez elles. Ces mesures avaient une durée d’application initiale de deux semaines, mais elles ont été prolongées dimanche 29 mars jusqu’au 30 avril. Le Centre américain pour le Contrôle et la Prévention des Maladies a en outre recommandé aux habitants de trois Etats (dont l’Etat de New-York) d’éviter les déplacements à l’intérieur de ces Etats. Les Etats gardent un pouvoir de décision important en ce qui concerne le droit de déplacement des personnes, ce qui signifie que la réponse à la crise et les mesures de confinement peuvent différer d’un Etat américain à un autre. La réponse tardive des autorités a donc certainement contribué à la propagation rapide du Covid-19. Il apparaissait dès lors clairement que les Etats-Unis ne pourraient éviter un choc sur l’activité économique dû aux conséquences directes du Covid-19. Les annonces budgétaires et monétaires visant à amoindrir l’impact économique du virus se sont multipliées depuis début mars.

Apport de liquidités d’une ampleur inédite

La Réserve fédérale américaine a d’abord pris des mesures monétaires d’urgence. Son taux directeur a été réduit de 0.50% le 3 mars et de 1% le 15 mars. Le taux directeur américain a donc renoué avec son niveau plancher de 0%. La banque centrale a en outre remis en place des mécanismes de crise visant à maintenir un degré de liquidité suffisant sur le marché monétaire et à subvenir aux besoins en dollars américains des banques centrales étrangères.

Lors de sa dernière communication en date du 23 mars, la Fed a annoncé deux mesures historiques. La première est l’achat « pour un montant nécessaire » d’obligations d’Etat américain. Lors des programmes d’assouplissements quantitatifs antérieurs, la Fed déterminait préalablement le montant de ses achats mensuels d’obligations d’Etat. A titre comparatif, les jours qui ont suivi cette annonce, le rythme journalier d’achat d’obligations d’Etat par la Fed était plus de 20 fois supérieur à celui qui prévalait au pic des programmes d’achat qui ont suivi la dernière crise financière. La deuxième mesure est la mise en place par la Fed, en étroite collaboration avec le département du Trésor américain, d’une entité juridique spéciale qui lui permettra d’intervenir directement sur le marché du crédit aux entreprises. Au travers de cette entité, la Fed va pouvoir acheter sur les marchés financiers des emprunts émis par des entreprises et/ou à leur prêter directement.

État providence… à l’américaine

Face à la menace du Covid-19, le Congrès américain a approuvé un plan de soutien budgétaire qui fut signé par le président fin mars. Ce plan, qui s’élève à environ USD 2.000 milliards, est de loin le plus important de l’histoire. Il s’agira de la troisième mesure budgétaire votée en l’espace d’à peine quelques semaines. La première (8,3 milliards) visait à financer le développement d’un vaccin, et la seconde (100 milliards) étendait les allocations de chômage et permettait un dépistage gratuit du Covid-19, qui jusque-là était payant aux Etats-Unis. Ce troisième plan budgétaire a pour objectif de soutenir les ménages, le système de soins de santé et les entreprises et s’établit en deux parties.

Plus de la moitié de ce montant consiste en des transferts fiscaux permanents, pour l’équivalent d’environ 5% du produit intérieur brut américain. Parmi ceux-ci :
  • 1. Paiement direct de USD 1.200 aux Américains, avec un supplément de USD 500 par enfant pour un coût total de USD 300 milliards. Cette aide est dégressive une fois qu’un certain niveau de revenu annuel est atteint.
  • 2. Augmentation temporaire des allocations de chômage (de USD 600 par personne et par semaine) pendant une durée de quatre mois pour un coût de plus de USD 200 milliards. Le coût final pour l’Etat américain est incertain et dépendra de la hausse du chômage. De plus, le plan budgétaire étend l’éligibilité des allocations de chômage aux travailleurs à temps partiel et aux personnes qui ne remplissaient précédemment pas certains critères d’éligibilité, comme par exemple les indépendants et les travailleurs qui ne disposaient pas d’une durée d’employabilité suffisante.
  • 3. USD 350 milliards de prêts aux petites entreprises qui seront convertis directement en subsides si ces dernières utilisent ces prêts pour maintenir l’emploi.
  • 4. Nouvelles aides financières aux hôpitaux et montants débloqués pour l’achat d’équipements médicaux supplémentaires pour un montant total de USD 133 milliards.
  • 5. Subventions de USD 25 milliards pour les compagnies aériennes dans le but exclusif de payer les salaires. 17 autres milliards de prêts seront garantis par l’Etat pour d’autres entreprises jugées indispensables au maintien de la sécurité nationale.
  • 6. Suspension du paiement des prêts étudiants jusqu’à fin septembre.
  • 7. Octroi par l’Etat d’un crédit d’impôt si les entreprises gardent leurs employés. Le montant peut atteindre jusqu’à 50 % des salaires versés durant la crise et concerne les entreprises ayant été contraintes de fermer ou dont le chiffre d’affaires a baissé de 50 % par rapport à l’année précédente.
  • 8. Les taxes de sécurité sociale que les entreprises doivent verser à l’Etat seront différées : la moitié de ces taxes qui auraient dû être versées pendant la crise seront payées avant la fin de 2021, et l’autre moitié avant fin 2022.
L’autre mesure phare du plan de soutien consiste en la création d’un fonds de financement de USD 500 milliards qui servira à octroyer et à garantir des prêts. Parmi ces 500 milliards, 150 milliards seront dédiés au financement des localités et des Etats. Le reste (environ 350 milliards) sera utilisé pour financer les nouvelles lignes de crédit annoncées par la Fed afin de soutenir les entreprises non-financières.
Ce montage permettra à la Fed d’octroyer directement des prêts aux entreprises non financières et/ou de racheter de la dette d’entreprises sur le marché secondaire. Selon le département du Trésor américain, les nouveaux montants annoncés pourraient permettre à la Fed de prêter à travers ce véhicule spécial jusqu’à USD 4.000 milliards dans les prochains mois soit un levier financier de plus de 10 fois. Ces prêts consentis aux entreprises, qui bénéficieront d’une garantie de l’Etat, feront l’objet d’une supervision accrue à la demande des démocrates. Les entreprises qui auront utilisé ces prêts seront par exemple proscrites de racheter leurs propres actions jusqu’à un an après que le prêt ait été remboursé. Le déficit budgétaire pour 2020 suite aux différentes annonces pourrait dépasser allègrement 10 % du PIB. Toutefois, il ne devrait pas y avoir de problème de financement de ce déficit, étant donné que la Fed s’est engagée à acheter un montant potentiellement illimité d’obligations d’Etat américain.

Perspectives

Alors que l’Amérique adapte sa réponse à l’ampleur de la crise, son économie ne fait pas exception et subit un choc sans précédent. La durée de ce choc sera dictée par les développements de l’épidémie et l’efficacité du lock-down. Quelle sera l’ampleur de la reprise ? La Chine est un des indicateurs permettant une réponse à cette question et la reprise qui s’y dessine est certes timide mais bien réelle. Les mesures de soutien économique prises par la Fed et l’Etat américain devraient permettre aux agents économiques de traverser la crise tant bien que mal et, si nécessaire, le montant du programme budgétaire de soutien sera probablement revu à la hausse.
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La bourse américaine a perdu près de 24% depuis fin février1 et la prime de risque – qui compense l’investisseur pour la volatilité d’un tel investissement – y est fortement remontée. Sur le graphe ci-dessus, cette prime est calculée en déduisant le rendement réel des obligations sans risque2 du rendement bénéficiaire3 prévu dans les douze prochains mois.
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