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Préparer les portefeuilles pour l’après-crise sanitaire

Jérôme van der Bruggen - Chief Investment Officer
S’il est encore trop tôt pour faire un bilan définitif et juger de l’impact à long terme qu’a eu la crise sanitaire sur nos économies, un constat s’impose. Les Etats ont joué un rôle considérable dans sa gestion et ont repris, à cette occasion, une place de choix dans la conduite des affaires. Il semble qu’à cette occasion, nous nous soyons éloignés définitivement du laisser-faire qui a caractérisé les quarante dernières années.
Afin de permettre aux entreprises et aux ménages de tenir tant que la pandémie faisait rage, les gouvernements ont mis en place d’énormes plans de soutien, entièrement financés par l’emprunt. Ce sauvetage fut rendu possible grâce à l’activité des banques centrales qui sont elles-mêmes intervenues en tant que prêteur de dernier ressort en achetant ces emprunts sur le marché secondaire, devenant ainsi les premiers créanciers des gouvernements.
Beaucoup appelaient cette coopération entre gouvernements et banques centrales de leurs vœux dès avant la crise sanitaire. L’état d’urgence suscité par la pandémie l’a forcée. Mais à l’heure du déconfinement et alors que les mesures restrictives sont en train d’être levées, la question se pose de la pérennité des interventions étatiques. Les gouvernements ne vont-ils pas justement profiter de la reprise pour se désendetter ?

Un après-crise marqué par les plans américains

Probablement pas, à en juger par le ton que donnent les États-Unis dans la gestion de l’après-crise. L’administration de Mr. Biden a préparé trois plans pour un total de USD 6,000 Mds indiquant qu’elle a nulle intention de se retirer des affaires et de revenir au modèle d’avant.
  • Après avoir réussi, en mars 2021, à faire voter un plan de soutien permettant aux agents économiques de tenir le temps que la stratégie vaccinale prenne pied (l’« American Rescue Plan »), Mr. Biden a dévoilé un deuxième plan (l’« American Jobs Plan ») au cours de ce même mois de mars. Ce plan, qui pourrait être voté dès le mois d’octobre 2021, a pour objectif de relancer l’investissement afin de renouveler les infrastructures et – entre autres – de faciliter la transition énergétique et digitale.
  • Il a dans la foulée proposé un troisième plan (l’« American Families Plan ») en avril 2021 dont l’objectif est de donner un nouveau souffle au projet d’Etat-providence à l’américaine, initié par Barack Obama. Ce troisième plan pourrait être voté l’année prochaine.
Les deux derniers plans de Mr. Biden ont ceci en commun qu’ils seront – en partie –financés par l’impôt : sur les entreprises pour le second, sur les plus hauts revenus pour le troisième. Mais en toile de fonds, personne ne doute du fait que la Fed apportera son support si besoin.

Des marchés portés par la reprise bénéficiaire

Les bourses ont bien réagi à ces développements et continué leur reprise entamée en mars 2020. Toutes ont aujourd’hui dépassé leur plus haut niveau historique (y compris au Japon). Cette reprise boursière peut selon nous continuer sur sa lancée car elle est portée par une réelle reprise bénéficiaire. Entrainées avant tout par la vigueur des dépenses des ménages (qui bénéficient du soutien des gouvernements et disposent d’une épargne accumulée pendant la pandémie), les bénéfices des entreprises rebondissent après le choc occasionné par le lock-down en 2020 ! L’année dernière, les bénéfices des entreprises faisant partie des indices boursiers mondiaux ont baissé de 20 % en moyenne. Cette année, la croissance bénéficiaire pourrait dépasser les +35 %.
Un élément important nous fait penser que cette reprise bénéficiaire n’est pas terminée : les investissements n’ont pas encore vraiment pris la relève. Lors d’un cycle économique classique, les investissements, c’est-à-dire des dépenses des entreprises, suivent celles des ménages. En d’autres mots, les entreprises ne se remettent à investir que lorsqu’elles sont confiantes et encouragées par la visibilité que leur donne la reprise des dépenses des ménages. Notons qu’aux Etats-Unis, lors de la dernière période de croissance économique qui a duré jusqu’en 2016, les investissements des entreprises n’ont pas atteint des niveaux satisfaisants. La Fed ayant freiné la croissance par la hausse de ses taux directeurs, cette confiance n’a pas eu vraiment l’occasion de se réinstaller. Cette fois-ci, la Fed a promis d’attendre plus longtemps et l’« American Jobs Plan » – s’il est voté à l’automne – donnera une motivation supplémentaire aux entreprises pour investir.
Deux freins potentiels à cette reprise se profilent cependant.
  • Le premier est la hausse d’impôts aux États-Unis et en particulier l’augmentation de l’impôt des sociétés à 28 % et l’arrêt des pratiques de transfert de bénéfices – si elles passent le cap du Congrès. Ne sont-elles pas de nature à nuire aux bénéfices en 2022 ? Oui, mais au-delà de ce premier constat, il faut garder à l’esprit que cette aggravation de l’imposition sera compensée par les hausses de bénéfices liées aux dépenses d’investissement des entreprises américaines. Autrement dit, l’impact négatif total sur les bénéfices sera plus faible et les bénéfices américains devraient encore augmenter en 2022.
  • Le second est la hausse du prix des matières premières et la pénurie de pièces dans certaines chaînes de production qui suscitent des hausses des coûts de production. Cela risque-t-il pas d’impacter les marges ? La réponse est nuancée et tous les secteurs d’activité ne sont pas égaux face à cette inflation. Cependant, nous observons à court terme que tant que la demande est forte, les entreprises sont capables d’augmenter leurs prix de vente (comme nous l’avons observé dans les résultats du secteur automobile au premier trimestre 2021). A moyen terme, les prix plus élevés incitent les producteurs à accroître leur offre à travers de nouveaux projets d’investissements, permettant un retour vers l’équilibre. Les prix plus élevés actuels ne sont, selon nous, pas un phénomène permanent.

A l’heure du déconfinement et alors que les mesures restrictives sont en train d’être levées, la question se pose de la pérennité des interventions étatiques.

Un positionnement pro-reprise en bourse

Le rendement bénéficiaire attendu des actions est toujours supérieur au rendement des obligations sans risque, indiquant que les actions offrent toujours une « prime » de rendement attrayante par rapport aux obligations. Bien sûr, la pression à la baisse exercée sur les rendements obligataires à long terme par les banques centrales joue un rôle prépondérant pour expliquer cette prime. Mais, il y a aussi le fait que les bénéfices attendus sont constamment revus à la hausse pour l’instant et qu’en période de reprise de l’investissement, il est difficile de prévoir la fin de cette dynamique. Nous pensons donc que les bourses devraient continuer d’être favorables, même s’il convient d’être toujours vigilants et d’investir de façon diversifiée.
Le plan d’infrastructure de Mr. Biden va bénéficier aux entreprises américaines locales et issues des secteurs des matières premières, de l’industrie et de la finance. Ces entreprises, de taille moindre que les GAFAM, ont été les laissés pour compte du rallye boursier des 5 dernières années et se négocient à une décote par rapport aux valeurs technologiques et pharmaceutiques. Ce sont donc elles que nous privilégions dans les portefeuilles pour l’instant.
Les réformes de l’impôt des sociétés aux États-Unis – si elles sont adoptées – constituent une autre raison pour privilégier ces entreprises par rapport aux grandes valeurs de la techno et de la pharma. Ces réformes risquent de moins nuire aux entreprises issues des secteurs des matières premières, des produits industriels et des services financiers. L’une des raisons pour expliquer cette différenciation de traitement trouve son origine dans le fait que les pratiques de transfert fiscaux sont surtout répandues dans le secteur des High Tech et de la pharmacie. Bref, des secteurs qui traditionnellement paient moins d’impôts des sociétés. Si c’est le cas, cela pourrait avoir pour effet d’alimenter la rotation sectorielle vers ces sociétés cycliques, issues de l’économie réelle et à petite capitalisation. Est-ce à dire que le cours des GAFAM va s’effondrer ? Non, pour la simple raison que les tendances à la digitalisation de nos sociétés sont beaucoup trop fortes. Mais une sous-performance de ce secteur n’est pas à écarter.
En résumé, les valeurs de croissance restent attrayantes à long terme mais nous privilégions tactiquement un positionnement pro-reprise, principalement via des valeurs de petite capitalisation et/ou cycliques.
¹ Le « rendement bénéficiaire » attendu d'une action cotée en bourse est calculé en divisant son bénéfice net annualisé (par titre côté) attendu dans un an par son cours de bourse.
² Une obligation « sans risque » est une obligation à 10 ans émise par une autorité de référence, en l'occurrence le Trésor américain, l'État allemand ou le gouvernement japonais.
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